J’ai toujours dormi ainsi dans le bruit atroce depuis décembre 14. J’ai attrapé la
guerre dans ma tête. Elle est enfermée dans ma tête. »
(Louis-Ferdinand Céline. Guerre)
La Grande Guerre tenait une place essentielle mais restreinte dans Voyage au bout de la
nuit (1932). On savait que Bardamu avait été blessé au front ; mais l’écrivain ne s’était
pas attardé sur cet épisode, justi/ant ainsi l’ellipse : « Il s’est passé des choses et encore
des choses, qu’il est pas facile de raconter à présent, à cause que ceux d’aujourd’hui
ne comprendraient déjà plus. »
Le manuscrit récemment retrouvé de Guerre con/rme que Louis-Ferdinand Céline
a pourtant bien eu l’intention de tirer un autre récit littéraire de son expérience du
front, comme il l’avait annoncé lui-même dans sa correspondance en juillet 1934.
Il intégrait alors ce moment de sa vie dans un triptyque intitulé « Enfance-Guerre-
Londres », projet dont le premier volet aboutira en 1936 à Mort à crédit. Le présent
volume se rattache à la deuxième pièce de ce triptyque, ici révélé dans son premier et
seul état de rédaction connu, datable de 1934.
Voilà donc le récit totalement inédit d’un épisode capital dans la vie de Céline, tel
que transposé dans son œuvre littéraire. On suit le brigadier Ferdinand depuis les
heures qui ont suivi sa blessure jusqu’à son départ de Belgique pour l’Angleterre. La
détestation de la guerre et de ce qui en masque ou déforme la réalité est omniprésente
dans ce texte cru et hypersexualisé, où le héros, hospitalisé dans un bourg des Flandres
en arrière de la ligne de front, entre en contact avec le milieu de souteneurs qu’il
retrouvera à Londres. Guerre est le roman célinien d’un homme au corps et à l’esprit
traumatisés, qui se découvre bientôt « déchargé d’un énorme poids de conscience »,
en/n délivré de tous les scrupules du « temps /ni de l’enfance ».
L’heure de la revanche a sonné pour Ferdinand : « Je devais plus rien à l’humanité. Je
la regardais moi la vie, presque en train de me torturer. Quand elle me fera l’agonie
pour de bon, je lui cracherai dans la gueule comme ça. Elle est tout con à partir d’un
certain moment, faut pas me bluffer, je la connais bien. Je l’ai vue. On se retrouvera.
On a un compte ensemble. Je l’emmerde. »