Après avoir mentionné le soi-disant protectorat carolingien sur la Terre Sainte, l'archevêque de Tyr passe directement à la persécution du khalife fârimide Hâkim, puis à l'intervention de l'élément turc dans l'Islam, d'où devait également découler une aggravation dans la situation des chrétientés orientales, toutes causes qui provoquèrent à la fin du onzième siècle l'ébranlement de la Première Croisade. Bien renseigné sur le milieu arabe, notre chroniqueur ne nous laisse rien ignorer de la division de l'Islam entre les deux grandes confessions sunnite et shî'ite : «Cil, traduit son adaptateur, qui tiennent la loi de Perse ont non en leur langage Sonni ; et cil de la loi d'Egypte sont appelé Siha, et cist (= les Shî'ites) ne sont pas si loing de la vraie foi crestienne com sont li autre.» Plus loin, c'est l'éloge de la vaillance de «Haly, qui fu li meilleurs chevaliers et li plus esprovez de meillor cuer et de plus grant proece que li autre galife n'avoient esté». Cette préférence pour le shî'isme est d'autant plus à remarquer que ce fut un khalife shî'ite, le fâtimide ftâkim (996-1020), qui, comme on l'a dit, provoqua par ses persécutions insensées le mouvement de réprobation d'où devaient à la longue sortir les Croisades.
Malgré cette persécution isolée, l'Estoire d'Éracles se féli­cite, en somme, de la conquête de la Syrie par les Shî'ites de l'obédience fâtimide : «Il avint que cil d'Egypte issirent de leur terres et conquistrent toutes les terres qui sont jusqu'en Antioche ; et avec les autres citez qui furent prises, la sainte cité de Jherusalem vint en leur pooir et soz leur seignorie. Assez li estut bien, selonc l'èse que l'en puet avoir en chaitivoison (en captivité).» Conformément à ce jugement, le chroniqueur franc ne considère la persécution du khalife ftâkim que comme le fait purement individuel d'un Néron musulman et reconnaît loyalement que son successeur, le khalife al-Zâhir, rétablit à l'égard des chrétientés coptes et syriaques les habitudes de relative tolérance de sa famille.